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Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.
Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;
Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.
Nul astre d ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d un feu personnel !
Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l Sil, rien pour les oreilles !)
Un silence d éternité.
II
En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J ai vu l horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;
La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.
144
CIII Le crépuscule du matin
La diane chantait dans les cours des casernes,
Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.
C était l heure où l essaim des rêves malfaisants
Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;
Où, comme un Sil sanglant qui palpite et qui bouge,
La lampe sur le jour fait une tache rouge ;
Où l âme, sous le poids du corps revêche et lourd,
Imite les combats de la lampe et du jour.
Comme un visage en pleurs que les brises essuient,
L air est plein du frisson des choses qui s enfuient,
Et l homme est las d écrire et la femme d aimer.
Les maisons çà et là commençaient à fumer.
Les femmes de plaisir, la paupière livide,
Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;
Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,
Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.
C était l heure où parmi le froid et la lésine
S aggravent les douleurs des femmes en gésine ;
Comme un sanglot coupé par un sang écumeux
Le chant du coq au loin déchirait l air brumeux ;
Une mer de brouillards baignait les édifices,
Et les agonisants dans le fond des hospices
Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.
Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.
L aurore grelottante en robe rose et verte
S avançait lentement sur la Seine déserte,
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux.
145
Le Vin
CIV. L âme du vin
Un soir, l âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;
J allumerai les yeux de ta femme ravie ;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »
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CV. Le vin des chiffonniers
Souvent, à la clarté rouge d un réverbère
Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,
Au cSur d un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
Où l humanité grouille en ferments orageux,
On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,
Buttant, et se cognant aux murs comme un poète,
Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Épanche tout son cSur en glorieux projets.
Il prête des serments, dicte des lois sublimes,
Terrasse les méchants, relève les victimes,
Et sous le firmament comme un dais suspendu
S enivre des splendeurs de sa propre vertu.
Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus par le travail et tourmentés par l âge,
Éreintés et pliant sous un tas de débris,
Vomissement confus de l énorme Paris,
Reviennent, parfumés d une odeur de futailles,
Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles,
Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux.
Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux
Se dressent devant eux, solennelle magie !
Et dans l étourdissante et lumineuse orgie
Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,
Ils apportent la gloire au peuple ivre d amour !
C est ainsi qu à travers l Humanité frivole
Le vin roule de l or, éblouissant Pactole ;
Par le gosier de l homme il chante ses exploits
Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.
Pour noyer la rancSur et bercer l indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
L Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !
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CVI. Le vin de l assassin
Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.
Autant qu un roi je suis heureux ;
L air est pur, le ciel admirable&
Nous avions un été semblable
Lorsque j en devins amoureux !
L horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s assouvir
D autant de vin qu en peut tenir
Son tombeau ; ce n est pas peu dire :
Je l ai jetée au fond d un puits,
Et j ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
Je l oublierai si je le puis !
Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,
J implorai d elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !
Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !
Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul ?
Cette crapule invulnérable
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Comme les machines de fer
Jamais, ni l été ni l hiver,
N a connu l amour véritable,
Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d ossements !
Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,
Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien
Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !
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CVII. Le vin du solitaire
Le regard singulier d une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;
Le dernier sac d écus dans les doigts d un joueur ;
Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
Les sons d une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l humaine douleur,
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cSur altéré du poète pieux ;
Tu lui verses l espoir, la jeunesse et la vie,
Et l orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !
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CVIII. Le vin des amants
Aujourd hui l espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin !
Comme deux anges que torture
Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain !
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