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existé que par la crédulité des médecins. Maladies imaginaires, direz-vous.
Mais il n'y a point de maladies imaginaires. Ce que raconte un délirant ce qu'il
croit voir ou avoir vu, cela est bien imaginaire ; toutefois la peur qu'il éprouve
ou l'anxiété, ou la colère, ne sont nullement imaginaires. Ce sont des mouve-
ments réels en son corps, et souvent violents ; toujours perturbateurs de la
circulation de la digestion, des sécrétions, comme les larmes le font voir.
Chacun sait bien qu'un homme peut se nuire à lui-même et même se détruire
par des mouvements inconsidérés. Le vertige est un bon exemple où il est
évident que c'est l'imagination qui fait tout le mal. Mais, dans un homme qui
se mord la langue, je vois encore mieux comment notre organisme, par ses
propres moyens, peut se nuire à lui-même.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 55
Un homme qui se gratte annule l'Suvre du médecin ; et il y a plus d'une
manière de se gratter. Nous sommes ainsi faits que, dès que notre attention se
porte sur une partie de notre corps, le sang s'y porte aussi ; c'est pourquoi le
menteur rougit. D'où on comprend que le bon moyen de s'empêcher de tousser
n'est pas d'interroger sa gorge et de surveiller le petit grattement. Penser à ses
maux c'est exactement les irriter. Ce mot d'irritation a un double sens, qui est
admirable. »
« Il faut donc, disait-il encore, que je mente toujours. Il faut que, non
seulement par mes discours, mais encore par mes gestes, par mon regard, je
persuade le malade selon ce que je sais être faux. Pourtant je suis homme
aussi, et bâti comme tous de telle façon qu'il faut que je pense ce que je
signifie. Ma véritable pensée et mon attention utile se trouvent donc garrottées
par une mimique qui leur est contraire. Je ne puis avoir cette liberté prompte,
cette grâce, pour tout dire, du jugement qui est laissée au mathématicien, à
l'astronome, au physicien devant les objets qui n'ont point d'yeux ni de cSur.
Je glisse à persuader plutôt qu'à connaître ; et l'imagination est assez puissante
pour que les effets suivent presque toujours. Me voilà thaumaturge malgré
moi. Ce qui est souvent très bon pour mes malades ; toujours très mauvais
pour moi. L'expérience d'un médecin est merveilleusement riche, mais
toujours trouble et ambiguë. Il arrive donc ceci que ceux qui seraient le mieux
placés pour faire avancer la science ne possèdent à la fin qu'un art mélangé de
savoir et de sorcellerie. C'est pourquoi la médecine, semblable en cela à la
politique, ne peut avancer que par les travaux de ceux qui ne pratiquent
point. »
23 janvier 1924.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 56
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XXIV
Savoir et croire
26 janvier 1929.
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Nous croyons moins les choses que les hommes. Il n'est point de comp-
table qui donne sa confiance aux colonnes de chiffres ; au contraire, il les
examine sans parti pris, et même il se défie du parti pris. Il connaît la force de
la coutume ; mais aussi il a appris à rompre la coutume, Un chiffre mal fait et
mal lu, cela laisse un pli en nous. De même, ces erreurs de langue et de gosier,
qui son comme les faux pas du calcul, si on y glisse une fois, déjà on s'y
accoutume. Aussi le comptable s'imposé d'autres chemins et se donne d'autres
perspectives. Il remonte au lieu de descendre ; il groupe les mêmes nombres
tout à fait autrement. Enfin, il ne cesse de douter. En présence d'une caisse à
régler, il soupçonne les piles de pièces et les liasses de billets. Le même
homme, qu'il chasse ou qu'il pêche, ne cesse point de supposer que les choses
sont autres qu'elles paraissent. Et toutes les affaires enfin réussissent par cet
enquêteur qui ne veut point se croire, et qui fait le tour de chaque chose. Les
sauvages les plus naïfs sont de grands sages en leurs travaux, d'où l'on
comprend ces inventions merveilleuses, hache, scie, rabot, roue, moulin,
bateau, voile, qui sont aussi anciennes que l'homme. L'enfant lui-même est un
grand sage en ses recherches personnelles, soit qu'il élève un cerf-volant, soit
Alain, Esquisses de l homme (1927) 57
qu'il plie un bateau en papier. Tous les travaux se font sous le signe de
l'incrédulité.
Cependant l'enfant croit ceux qu'il aime. Le sauvage croit ce que croit
l'assemblée. Le sévère comptable croit d'abord ce qu'il entend et ce qu'il lit
jusqu'à preuve contraire. Et avouez que c'est une grande imprudence, car on
peut concevoir une infinité de récits vraisemblables et qui pourtant ne sont pas
vrais. Le fait est que l'homme croit l'homme ; et, quand il se défie de tel
homme ou de tel autre, il croit formellement qu'il ne doit point croire.
Occasion encore de se tromper. Ce serait trop beau si les menteurs mentaient
toujours ; et il n'y a point de vraisemblance pour qu'un homme que je n'aime
point dise toujours faux.
Et certes cela s'explique assez déjà par les passions. Nous n'aimons point
contredire quand nous aimons, ni approuver quand nous haïssons. Croire est
une politesse ; c'est même la plus profonde politesse. Et, au rebours ne pas
croire est une sorte d'injure, et qui nous plaît, même silencieuse. On voit
jusqu'où l'esprit humain peut s'égarer en cette politique, qui est toute la
politique. Nous ne cessons de jurer par l'un et par l'autre, contre l'un et contre
l'autre. On admire l'aveuglement de ceux qui nient un fait bien connu, on
l'admire dans un adversaire ; on ne le remarque seulement point en soi-même.
Les colères, l'intrigue, l'esprit de parti, si ordinaires entre les hommes, expli-
quent déjà assez bien cette masse d'erreurs que les temps passés nous
apportent en même temps que de précieuses et pures vérités. L'arc et l'idole
sont deux témoignages ; l'un de pures idées et passées au crible, l'autre
d'erreurs boueuses.
Mais la cause principale de ce contraste est en ceci,
que lorsque l'homme parle à l'homme, neuf fois sur dix la chose dont il
parle est absente et même passée et abolie. Un récit n'est pas un fait. Cela est
tout à fait ignoré, mais enfin il est évident que l'esprit critique ne peut agir
contre un récit. On ne peut faire l'expérience, ce qui est si simple et décide de [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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